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Entre 1671 et 1716, le mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz s’est essayé à concevoir une machine à calculer sans jamais réussir à produire un prototype fonctionnel, malgré un travail en étroite collaboration avec l’horloger parisien Ollivier. En plus de sa correspondance, Leibniz nous a légué une importante collection de textes et de schémas afférents aux spécifications techniques de la machine qu’il imaginait. Selon ses termes, cette « machine arithmétique » ambitionnait de « transplanter » l’esprit humain dans une « matière inanimée » – réalisant ainsi une opération de re-médiation. Avec la redécouverte en 1879 du dernier modèle de la machine, l’échec de l’entreprise fut tour à tour attribué à l’état de la technique de l’époque – réputée trop en retard sur le génie de Leibniz – ou bien à de simples problèmes de communication entre l’inventeur et l’artisan. En effet, en s’en tenant à la métaphysique de Leibniz, l’on pourrait arguer que son arithmétique de papier serait ainsi parfaitement traduite dans une machine de laiton, sans perte d’une matérialité à une autre. Cependant, une telle perspective repose sur une dichotomie trop franche entre technique et mathématique, ainsi que sur une indifférence aux divers media en jeu, à leurs matérialités et à leurs effets. À la suite des travaux de Matthew Jones, refusant une conception hylémorphique de l’invention, je considère les papiers de travail de Leibniz comme de véritables media dont la matérialité, condition de possibilité de la pensée, a façonné la machine à calculer. En adoptant une perspective matérielle sur les papiers de Leibniz et leur lien avec sa métaphysique, autant qu’avec le prototype d’Ollivier, je tente de mettre en lumière quelques-unes des étapes d’un long processus de re-médiation du calcul en un dispositif mécanique. Une telle approche permet de comprendre comment le choix de la multiplication longue – un algorithme particulier de résolution sur le papier – a donné via les diagrammes son architecture matérielle à la machine, ou comment le texte – ekphrasis du fonctionnement théorique de la machine – sert de preuve de concept là le dessin où échoue. Enfin au cours d’une ultime opération de re-médiation du papier au laiton, comment cette invention nécessite d’obtenir d’un objet technique à la matérialité continue (analogique) qu’il fonctionne de manière discrète (i.e. produise des résultats numériques entiers) et qu’il puisse « retenir » (i.e. qu’il garde mémoire des retenues).