Le terme sanskrit rasa (littéralement "sève") est utilisé dans la tradition classique indienne pour désigner le sentiment propre à une œuvre littéraire, dramatique ou musicale. Cette théorie esthétique fut d’abord formulée dans le Nâtya-shâstra, un traité sur le théâtre, la danse et la musique. Seuls huit rasa y étaient mentionnés (les neuf mentionnés ci-dessous moins le shanta rasa). Ce terme décrit l’expérience de goût esthétique lors d’une représentation. Ces rasa, expérimentés par le spectateur, sont chacun liés à huit émotions (bhava) fondamentales, appelées sthāyibhāva, qui sont exprimées et développées par l'acteur : rati, “l’amour”; hasa, “le rire”; shoka, “le chagrin”; krodha, la “colère”; utsaha, “l’énergie”; bhaya, “la peur”; jugupsa, “le dégoût”; vismaya, “l’étonnement”. Combinés aux 33 sentiments transitoires (vyabhicaribhava), comme l’embarras ou la jalousie du sentiment amoureux, aux expressions corporelles (anubhava, les acteurs étaient même censés pouvoir rougir, avoir la chair de poule, etc. sur demande) et aux circonstances représentées sur scène (vibhava), ces émotions produisent le rasa.
Au -, Abhinavagupta, adepte du Shivaïsme du Cachemire, écrivit un commentaire au Natya-shastra, dans lequel il décrit le rasa comme différent des émotions ordinaires, ‘hors de ce monde’, ‘transcendant’ (alaukika). Il se produit un processus d’universalisation (sadharanikarana) dans lequel le spectateur doué d’empathie (sahridaya) s’identifie au caractère présenté sur scène. Abhinavagupta met ce processus en parallèle avec celui de l’identification à l’absolu, le brahman et la félicité (ananda) ressenti alors, sans toutefois confondre les deux, le rasa n’étant que temporaire, mais aidant toutefois à la réalisation du second. Cette idée fut reprise par le roi philosophe Bhoja au et devint le fondement du vishnouisme de dévotion (la bhakti), pour devenir avec les Gosvamins (disciples de Chaitanya Mahaprabhu, adeptes du vishnouisme gaudiya) un moyen d’atteindre la libération, le moksha.